(Gwenaël Kerléo)
Un grand merci à la talentueuse harpiste bretonne Gwenaël Kerléo d'avoir bien voulu évoquer pour les visiteurs du Palais un peu de son parcours, sa musique, ses projets :
Laurent : Bonjour Gwenaël. Tu manies la harpe celtique avec
beaucoup de talent. Qu'est-ce qui t'as attiré au départ vers
cet instrument ?
Gwenaël Kerléo : Lorsque j'avais 7 ans, ma maîtresse
d'école a apporté sa harpe en classe. J'ai tout de suite été
séduite par cet instrument : ses sonorités, sa forme, la façon
dont on en joue en le tenant dans les bras.
L : Quels sont les musiciens, harpistes ou non, qui ont le plus influencé
ton jeu ou tes sources d'inspiration ?
G. K. : Parmi les harpistes, c'est tout d'abord Alan Stivell
qui a bercé mon enfance. J'ai ensuite eu la chance de commencer la
harpe à l'âge de 9 ans avec Hervé Quefféléant
du groupe Triskell. C'est grâce à lui que je me suis intéressée
à la composition. J'ai ensuite poursuivi mes études de harpe
au Conservatoire de Brest avec Muriel Chamard-Bois et participé à
des stages en Bretagne avec Katrien Delavier et en Irlande avec Janet Harbison.
Je suis influencée par toutes sortes de musiques, parfois très
éloignées de mon style de jeu habituel. Je suis attentive à
tout ce que j'entends. Lorsqu'une musique me plaît j'essaie
d'analyser l'élément du morceau qui me touche (rythme,
changement d'harmonie, ambiance) et je le reproduis sur ma harpe. Parfois
c'est le début d'une nouvelle composition.
L : J'ai découvert ta musique avec Yelen qui fut
une expérience unique en tant qu'auditeur. Quelles sont les origines
de cette création originale ? Et d'où vient ce nom, Yelen
?
G. K. : Yelen est le nom d'une grève, non loin de
chez moi, à la pointe de la Bretagne. C'est un endroit très
paisible où j'aime me promener. Les titres de l'album font allusion
à ce paysage et à l'ambiance qui s'en dégage. Avec Yelen
je voulais emporter mes auditeurs dans un voyage. J'ai voulu mettre la harpe
seule en scène pour me forcer à enrichir mon jeu. Pour préparer
cet album, j'ai beaucoup écouté des pianistes comme Wim
Mertens ou Keith Jarett et je m'en suis fortement inspirée.
L : Après la musique d'inspiration plus traditionnelle de
Terre Celte, le côté jazzy de Chemin de brume
et un Yelen où seules harpe et voix résonnent de manière
épurée, quelles surprises nous réservera le prochain
album ?
G. K. : Après avoir tourné pendant quatre ans
avec un programme solo, j'avais très envie de travailler à nouveau
avec d'autres musiciens. J'ai longtemps hésité entre une formation
jazz et une formation trad. Finalement j'ai préparé des
arrangements très jazzy d'airs traditionnels bretons avec des reprises
des premiers albums et des nouvelles compos. La harpe sera accompagnée
du violon, violoncelle, accordéon diatonique, uilleann pipes et percussions.
Je pense que l'album sera disponible pour l'été 2008.
L : Avec le recul, quel regard portes-tu sur les trois disques sortis
à ce jour et sur l'évolution de ton jeu pendant cette période
?
G. K. : J'écoute très rarement mes disques
et lorsqu'il m'arrive d'entendre un de mes morceaux (parfois à la radio),
je suis très surprise. Je me dis : "Tiens, je jouais ce morceau-là
comme ça avant !" Mon jeu a beaucoup évolué : je
suis maintenant très influencée par le jazz. J'ai enrichi mon
jeu de main gauche (les basses) et la main droite est beaucoup plus déliée.
Je suis cependant toujours très fière de mes premières
compositions que je continue de jouer avec plaisir.
L : Ta musique allie avec brio une certaine mélancolie et
un espoir qui ne disparaît jamais totalement. Est-ce important, en tant
que musicienne, la façon de faire passer émotions et sentiments
?
G. K. : Je trouve ton analyse très pertinente. Je
compose la plupart du temps en mode mineur ce qui donne une couleur mélancolique
à mes morceaux mais je m'efforce de ne pas sombrer dans cette
mélancolie qui n'apporte rien. J'aime passer d'une
émotion à une autre dans un même morceau. Avec Yelen,
qui est une œuvre complète en trois tableaux, je plonge mes auditeurs
dans cette mélancolie dès les premières minutes avec
le titre « Mont d'ar galon » qui signifie « aller
au cœur » pour atteindre un paroxysme au milieu du deuxième
tableau avec « Nij ar skrev ». Puis on remonte progressivement.
Dans le troisième tableau « Kejadenn » et « Eskemm
» sont des danses ; elles signifient « rencontre » et «
échange ». Les trois derniers titres sont une forme de conclusion
et évoquent un apaisement. Le dernier morceau « Ganedigezh »
signifie « naissance » ou « mise au monde » et se
termine par un accord ouvert majeur qui évoque un nouveau départ.
C'est bien sûr très important de transmettre des émotions
mais lorsque je me produis sur scène, je ne suis pas juste une interprète
qui cherche à faire passer une émotion ou un sentiment précis
dans un morceau, je joue mes propres musiques qui sont le reflet de ma personnalité
et de mon état d'esprit. Je vis réellement mes musiques
en laissant toujours une place à l'improvisation. Je ne donne
jamais deux concerts identiques : j'adapte mon programme ou mes interprétations
en fonction de la réaction du public afin d'instaurer un véritable
échange.
L : La manière dont tu composes a-t-elle évolué
au cours du temps ?
G. K. : Je compose toujours de la même façon :
j'improvise sur ma harpe de façon intuitive. Lorsque certaines sonorités
me paraissent belles ou des rythmes intéressant, je branche mon enregistreur.
Par la suite je réécoute tout ça: je fais le tri, je
retravaille ce qui est bon à garder, je fais évoluer les thèmes,
j'ajoute des intros puis je joue les morceaux sur scène. Ce qui a vraiment
changé c'est ma technique de jeu et ma capacité à
faire évoluer les morceaux. Dans mes deux premiers albums il y a souvent
un thème de harpe qui tourne en boucle et c'est l'apport
des autres instruments qui fait évoluer les morceaux. Ce n'est
plus du tout le cas actuellement.
L : Sous quelle(s) forme(s) auront lieu les futurs concerts ? En
solo ? En duo ? Avec d'autres musiciens ?
G. K. : Je cherche maintenant à jouer mes musiques
en petite formation de trois ou quatre musiciens mais j'aimerais aussi
intégrer d'autres formations, en particulier un ensemble de jazz,
pour jouer autre chose que ma musique.
L : La harpe celtique incite assez naturellement à l'imagination,
à la rêverie. Tu as collaboré avec un conteur (Jean-Marc
Derouen) pour la création d'un spectacle il y a quelques temps. Que
retires-tu de cette expérience ? Envie d'autres rencontres de ce type
?
G. K. : Je continue toujours à donner le spectacle
"Chemins de femmes" avec Jean-Marc. Je suis très enthousiasmée
par cette rencontre et je pense travailler avec lui encore longtemps, peut-être
sur un nouveau spectacle. C'est toujours un grand plaisir de pouvoir collaborer
avec d'autres artistes. Je suis également en contact avec le cinéaste
animalier Loïc Coat pour réaliser la BO d'un film documentaire.
Nous avons déjà travaillé ensemble sur un court-métrage.
C'est un travail qui m'intéresse beaucoup et que j'aimerais renouveler.
L : Bonne chance pour tes projets futurs ! Bonne continuation !
G. K. : Merci à toi Laurent. Je suis très heureuse
de pouvoir apporter quelques éclairages sur ma musique aux personnes
qui l'apprécient.